Saint-Estèphe

Le terroir, vous en voulez encore ? Alors, écoutez l'histoire entre mer et estuaire 


Limité par la Gironde à l'est, la jalle du Breuil au sud, limitrophe à l'ouest avec les communes de Cissac et Vertheuil et au nord avec celle de Saint-Seurin-de-Cadourne, l'appellation Saint-Estèphe compte 1250 hectares de vignes soit 7, 5% du vignoble médocain. Son encépagement est composé de 50% cabernet sauvignon, 40% merlot, 7 cabernet franc et 3% petit verdot.

La route en bordure de l’estuaire offre une vue sur la naissance des croupes de graves que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le Médoc. Cette route est bordée à l’est par les berges sauvages du fleuve qui accueillent les cabanes de pêcheurs de crevettes et à l’ouest par les palus surplombés de buttes caillouteuses. De la route on voit au loin une mer de vignes dont les rangs alignés se soulèvent en vagues douces ondulant au gré du modelé  pour venir  mourir sur les terres basses. La vigne se nourrit d’un terroir pauvre et parfaitement bien drainé qui donne au vin de Saint-Estèphe une grande complexité alliant la finesse et la puissance et lui confère  une qualité et une typicité qui lui sont propres.

Assortiments de cailloux

Qu’est-ce qui caractérise le terroir de Saint-Estèphe.? En se promenant dans le vignoble, si l’on observe le sol, on peut essayer d’identifier les cailloux qui le composent. Quartz roses et blancs, silex, grès, agatoïdes, lydiennes volcaniques, meulières... Ces beaux cailloux apportés par le fleuve il y a près de deux millions d’années sont  mélangés à des sables et des argiles en proportion variable d’un endroit à l‘autre de l’appellation et constituent ce que nous appelons plus spécifiquement les ‘graves’. Les deux tiers de la superficie de Saint-Estèphe sont occupés par des alluvions graveleuses composées de galets et graviers enrobés de sables argileux. Si la basse terrasse est graveleuse, la haute terrasse est plutôt sablo-graveleuse. Une des caractéristiques du terroir de Saint-Estèphe est de présenter des nappes profondes argileuses, ce qui permet une bonne résistance des vignes au stress hydrique dans les années de forte sécheresse. Une autre spécificité du terroir est la présence du calcaire marin dit « de Saint-Estèphe » qui affleure à la base des buttes à l’est et que l’on retrouve un peu partout et majoritairement à l’ouest de l’appellation. Plus au sud le terroir présente des sous-sols marneux. La subtilité du terroir de Saint-Estèphe provient de son parfait équilibre entre sol et sous-sol. Leur grande variété géologique explique la diversité des paysages et des coloris des sols.

Buttes bien drainées

Le plateau de Saint-Estèphe offre un modelé de croupes très bien drainées. Les pentes de ce relief jouent un rôle important dans la qualité  des vins car elles permettent de réduire l’alimentation en eau et augmentent la profondeur d’enracinement. Limité par deux grandes dépressions, au Nord le chenal de la Calupeyre et au Sud la Jalle du Breuil, l’intérieur de l’appellation est caractérisé par un relief particulièrement vallonné qui favorise un drainage naturel.

Climat tempéré

Saint-Estèphe, la plus septentrionale des appellations, est située au cœur du Médoc, tout près de l’estuaire de la Gironde. Traversée par le 45°parallèle, elle bénéficie d’un climat tempéré propice à la vigne, plutôt chaud et humide. Sa position entre mer et estuaire est un atout supplémentaire car permet une régulation thermique et évite les excès de températures. Par exemple, la vapeur d’eau provenant de l’estuaire régularise les amplitudes thermiques. Le fort taux d’ensoleillement et le doux brassage des vents contribuent également à une lente maturation des baies de raisin. Les sols fonctionnent en parfaite intelligence avec le climat. Les cailloux emmagasinent la chaleur durant la journée et la restituent la nuit aux raisins. Les pluies qui peuvent être fortes et fréquentes entre le l’automne et le printemps ne sont pas gênantes pour les sols drainants de Saint-Estèphe.



Le sous-sol est assis sur le calcaire de Saint-Estèphe d’âge Ludien, ère tertiaire (l.) C’est en fait un complexe assez varié : des calcaires, des marnes et des argiles(2) remplissant des poches formées dans les assises karstifiées(3).

Au début de l’ère quaternaire, au Günz (0,6 à 1,2 million d’années), arrivèrent les graves garonnaises(4). Elles sont constituées de graves équilibrées  à sables grossier.


Esprit du Terroir, Esprit d’un Vin

La grande diversité des sols et des sous-sols donne au vin autant d’expressions et de nuances. A cela il faut rajouter les variétés du climat et des microclimats qui conditionnent le caractère de chaque millésime. Enfin l’intervention du vigneron stéphanois, héritier d’une culture ancestrale transmise souvent de père en fils, est primordiale. La parfaite connaissance de ses parcelles, de la composition du sol et du sous-sol, du comportement de l’eau permet au vigneron une meilleure maîtrise de sa vigne.

Avec ses 1250 hectares de vignes, Saint-Estèphe est l’appellation qui présente la plus grande variété de terroirs répartis dans une grande famille du vin entre Crus Classés, Crus Bourgeois, Crus Artisans et la cave coopérative.

Il est difficile de réduire le vin de Saint-Estèphe à un style unique tant les terroirs dont il est issu diffèrent par leur variété sédimentaire. Cependant on peut le décrire comme un vin possédant une très grande puissance tannique qui lui confère une aptitude exceptionnelle au vieillissement. Sa grande richesse phénolique est en partie liée à la proximité du sous sol marneux calcaire de Saint-Estèphe. Cette longévité ne l’empêche pas d’être apprécié dans sa jeunesse car ses tanins sont fermes mais racés et élégants. Ils définissent le vin de Saint-Estèphe dans une structure harmonieuse et savoureuse. Les amateurs de Saint-Estèphe apprécient son caractère typé et son bouquet complexe.  

Fille des eaux marines et fluviales, la terre millénaire de Saint-Estèphe livre ses secrets

Saint-Estèphe est une terre d’alluvions, formée par l’accumulation de dépôts sédimentaires commencés il y a quelques 50 millions d’années.

Les puissantes érosions mindélliennes ont façonné le modelé en croupes de graves aves des dépressions jouant le rôle de rejeu  tectonique (5). Ces failles ont permis une érosion puissante qui a isolé en archipel les plateaux des graves viticoles de Saint-Estèphe (6) et (7 ). Cette érosion date de la période de Mindel (200 à 600 000 ans).

Les grands froids de l’époque glaciaire produisirent, sous l’action du gel, des solifluctions : les graves coulaient sur les versants et nourrissaient les pentes si propices à la vigne (8). Le réchauffement qui a suivi le paléolithique (à partir de 9000 ans) a provoqué la remontée des eaux marines et la formation des palus (9).

1-Naissance d’une Terre à partir des fonds marins antérieurs. Le socle calcaire de Saint-Estèphe est le vestige des mers tropicales du passé

Le sous-sol de Saint-Estèphe est assis sur le socle calcaire d’âge Ludien (ère Tertiaire). Saint-Estèphe et plus généralement le Médoc est né des retraits maritimes successifs. C’est donc une terre nouvelle enrichie des apports sédimentaires marins, lacustres et fluviatiles qui voit le jour il y a quelques 50 millions d’années. Ainsi le socle calcaire de Saint-Estèphe était autrefois une vaste mer tropicale. Il reste comme témoin de ce passé, les nombreux spécimens de mollusques caractéristiques du calcaire marin dit  « de Saint-Estèphe ». Plus précisément on trouve ce sédiment marin réparti en plusieurs niveaux carbonatés datant de la sédimentation marine éocène (entre -43 et -37 millions d’années). A l’est, formant un polygone passant par le Bourg, Saint-Corbian, Aillan, Leyssac, Blanquet, Montrose et Meyney, le calcaire de Saint-Estèphe se situe sous la couche graveleuse et est formé de bancs calcaires argileux qui alternent sur 8 m d’épaisseur. A l’ouest dans une grande zone qui couvre Laujac à Pez, on trouve des calcaires sableux et des grès avec des bandes d’affleurements. Plus à l’ouest dans le quartier de Coutelin les dépôts marneux à la base et calcaires au sommet constituent le calcaire « à astéries » datant de l’Oligocène (-37 à -25 millions d’années).

2-Dépôt des graves par le fleuve

Au début de l’ère quaternaire, au Günz (0,6 à 1,2 million d’années), l’alternance des périodes de glaciations et de réchauffements climatiques entraînèrent une fonte des glaces des Pyrénées et du Massif Central. Une importante masse d’eau fut libérée, boostant un fleuve à méandres qui charria les sédiments présents depuis des millénaires dans les profondeurs. Roulés, érodés et enfin déposés sur le socle tertiaire calcaire, les sédiments se sont répandus en nappes graveleuses et se sont accumulés au fil du temps. Les plus anciennes sont les graves pyrénéennes de la haute terrasse. Elles sont constituées de petits galets roulés et de quartz blanc en forme de dragées. Au cours du dernier million d’années du Quaternaire, d’autres graves glaciaires dites ‘garonnaises’ furent amenées par les crues puissantes de la Garonne et la Dordogne et déposées par le fleuve principalement le long de l’estuaire. Ces dernières graves plus massives sont composées de sédiments grossiers où le sable et l’argile se mêlent aux différents cailloux de couleurs variées, tantôt blanches, noires ou brunes. Les vents ont eux aussi contribué dans le remaniement des sols par leur apport de sables d’origine végétale et marine.

3-Façonné par l’érosion, le modelé en croupes de graves contribue à la qualité viticole

L’appellation compte plusieurs petits ruisseaux orientés de l’ouest vers l’est qui marquent une plate-forme de sédiments carbonatés, fortement disséqués par l’érosion fluviale il y a près de 10 000 ans. Dans la partie orientale, cette plateforme supporte une terrasse graveleuse achevée il y a 900 000 ans et à l’ouest une terrasse plus ancienne et plus sableuse. Façonnées à chaque période de dépôts sédimentaires, découpées en lanières à la fin de l’ère glaciaire, disséquées, fendues et creusées par l’érosion et les mouvements tectoniques, les graves se sont constituées en nappes aux altitudes décroissantes. En effet elles culminent aujourd’hui entre 20 et 30m d’altitude à l’ouest pour s’incliner doucement vers la Gironde qu’elles dominent de 5 à 6m. Ainsi, les vents, les eaux, les tremblements sismiques, les fortes poussées des Pyrénées et l’élévation du plateau charentais ont transformé les nappes en croupes bien dessinées permettant un drainage naturel avec une évacuation des eaux de surface et du sol. Ce modelé en croupe de graves que l’on admire aujourd’hui est essentiel pour la vigne qui peut s’alimenter en eau sans excès.

2010  - Ouvrage réalisé pour le Syndicat Viticole de Saint-Estèphe. Cdic Communication.

Conception et rédaction: Catherine di Costanzo

Création graphique: Virginie Obrensstein

Photos: Christian Braud

Visuel couverture: Christian Braud et Claire Guiral

Illustrations: Vincent Duval

Clichés: archives municipales de Bordeaux, photos Bernard Rakotomanga

Carte: "lithologie Pierre Becheler", géographisme: Jean-François Dutilb

Traduction anglaise: Carine Bijon

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